“Dialogues de bêtes” : un délice théâtral à la gloire de Colette
@Nadège le lezec
Au Théâtre de Poche-Montparnasse, la comédienne Lara Suyeux s’empare de ces dialogues ébouriffants entre un chien et un chat pour évoquer la vie de l’écrivaine Colette avec son mari Willy. En compagnie du dessinateur Cyrille Meyer qui illustre sur un écran cette vitalité animale, ils proposent un savoureux spectacle qui exalte la prose poétique pleine d’humanité de l’auteur, sous la direction subtile d’Elisabeth Chailloux.
Des animaux nous parlent d’amour
Imagine-t-on Colette sans des animaux autour d’elle ? Elle, l’auteur des « Claudine », celle qui signait encore Colette Willy, au début du XX° siècle, alors qu’elle souffrait encore de ne pas être une artiste libre, fut longtemps entourée de chats et de chiens. “Quand j’entre dans la pièce où tu es seule avec des bêtes, […], j’ai l’impression d’être indiscret” lui confiait Henry de Jouvenel, son second mari. “Toute la famille aimait les bêtes, et les bêtes aimaient notre maison », confiera-t-elle plus tard. Dialogues de bêtes furent publiés en 1904, dans une première version de quatre dialogues qui mettent en scène un bouledogue, Toby-Chien, et un chat, Kiki-la-doucette. Les animaux dialoguent, et parfois surgissent leurs maîtres, les « deux pattes » : Colette et son premier mari Willy. Mais leurs répliques sont d’une force et d’une poésie incroyable, comme si à travers eux, à l’instar de La Fontaine, les animaux parlaient pour nous. « Je hais les nouveaux visages » dit le chat, auquel le chien répond : « Je ne les aime pas non plus, quoi que tu dises. J’aime …Elle et Lui. …Il y a bien longtemps que j’ai deviné ta préférence. Il y a, entre toi et Lui, une espèce d’entente secrète. » J’aime, je n’aime pas, elle me préfère, je la caresse, elle me prend dans ses bras, et pourquoi me laisse-t-on dans un coin, dans un panier …Ces animaux là sont définitivement nos cousins germains et à force de fréquenter des humains, ils leur empruntent la psychologie et le vocabulaire.
Une interprétation saisissante

@Nadège le lezec
La comédienne Lara Suyeux, col en fourrure, bottines et silhouette mutine, se lance dans l’interprétation successive de ces dialogues formidables d’intensité et de malice, avec une énergie et un talent remarquable. Tour à tour ce chien à la tête carrée qui ouvre ses grands yeux noirs dans une posture d’attente, ébloui et ébahi par le chat, impérial et intello, qui prend des poses à la Cléopâtre, l’actrice s’amuse et nous éblouit par sa composition multiforme, offrant à ces deux bêtes surdouées, par une maîtrise lexicale et poétique confondante, une incarnation poétique. A ses côtés, assis à son bureau comme le mari Willy, en costume et chapeau, Cyrille Meyer dessine de sa main agile les silhouettes de la maison de campagne, des animaux en train de pic-niquer, de la voiture qui les fait voyager. Aquarelles dansantes, qui croquent la vie, la nature et la demande d’amour, les cri de joie et le cris de faim que poussent ces bêtes, comme des hommes en quête d’attention. Actrice et dessinateur dialoguent ainsi par le geste et par l’image, les mots font le reste et nous font voyager, dans l’univers d’une femme d’une sensibilité infinie, capable d’une création poétique gorgée d’humour et d’auto-dérision. Tout au bout du voyage, c’est la liberté de l’artiste qui sonnera le glas de cette vie réglée par la routine d’une soumission patriarcale. Un très beau moment de théâtre.
Hélène Kuttner
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